Récollection d’Avent du 7 au 9 décembre 2018 à la Clarté-Dieu
Notre petite retraite d’Avent s’est déroulée, cette année, du 7 au 9 décembre. Nous étions accueilli-es, comme l’année dernière, chez les franciscains de la Clarté-Dieu à Orsay et nous nous retrouvions nombreux, 42 frères, sœurs et ami-es. La prière de notre Communion Béthanie rejoint tellement ce que nous y avons vécu que j’ai eu envie de m’en inspirer pour essayer de résumer ce temps fort.
« Jésus, le Christ, nous voici invités dans la maison de Béthanie »…
Le Père Philippe Lefebvre, dominicain, bibliste enseignant à Fribourg, bien connu dans notre Communion, s’est fait l’écho de cette invitation : « Partir des lieux est un bon point de départ. Car le lieu est le concret de notre présence sur terre. Les lieux sont relatifs à notre histoire, et notre corps est toujours situé quelque part. »
Béthanie est un lieu à l’écart, à la périphérie de Jérusalem, en banlieue !
« Voici Marthe, elle nous dit : "le Maître est là, il t’appelle". Voici Marie, elle verse en silence sur tes pieds une livre d’un parfum très pur et de très grande valeur. Avec ses cheveux , elle essuie tes pieds et la maison est remplie par l’odeur du parfum. »
Cette scène évangélique (Math 26, 6-13) a lieu alors que les prêtres, réunis en conciliabule juste avant la Pâque, réfléchissent comment faire mourir Jésus. Marie, elle, oint les pieds du Maître. Ce geste osé d’une femme proclame la messianité du Christ - l’Oint - qui bientôt sera consacré comme Roi-Messie dans son Mystère Pascal.
Ce qui va se passer à Jérusalem est donc déjà réalisé à Béthanie ; à la périphérie, le geste de Marie supplée au geste non accompli par ceux qui, au centre, auraient dû le poser : reconnaître l’envoyé de Dieu. Jésus sera reconnu - mais ailleurs et par une autre. Marie vit ; les prêtres sont morts. Le centre est déplacé… et c’est à la périphérie - Béthanie - que s’accomplit le geste essentiel.
Toute la Bible se joue dans ce va-et-vient incessant entre le centre et la périphérie. L’histoire de Jérusalem - la cité sainte où David veut faire demeurer l’Arche d’Alliance ! - commence chez l’étranger Obed-Edom que Dieu comble de bénédictions (II Samuel 6)… Jésus naîtra en banlieue, à Bethléem, et sa généalogie est un concentré de métissages tellement contraires à la Loi de Moïse… Chez Luc, qui aime ces gens d’ailleurs, l’étranger comprend et rend grâce (Luc 17, 11-18)… etc.
C’est que la périphérie géographique - dont Béthanie est le signe - est le symbole de la périphérie existentielle et invite à un déplacement intérieur toujours renouvelé. De la mort à la vie… de la lettre à l’esprit… de la norme figée à l’audace amoureuse…
Avec Jésus, la périphérie est une Bonne Nouvelle : des chemins nouveaux s’ouvrent dans les cœurs ; des chemins impossibles deviennent possibles ! Il ne s’agit pas là d’une « apologie du désordre » - la banlieue est souvent un lieu hors-norme - mais la découverte que le désordre est l’expression d’un ordre plus profond où la vie est honorée, où la grâce peut passer… « Les prostituées vous précéderont dans le Royaume des Cieux »…
Chez Luc (10, 38-42), à Béthanie, Marthe et Marie sont auprès de Jésus. Et Marie fait ce que Jésus ne cesse de dire à ses disciples de faire : s’asseoir auprès de Lui et l’écouter, Lui, la Parole du Père ! A l’inverse de Marthe, happée par les soucis matériels, qui explique à Jésus ce qu’il doit faire : « Dis-lui… ». C’est encore à la périphérie, en banlieue, que se joue cet appel à l’essentiel qui traverse l’Évangile : l’accueil de la Bonne Nouvelle… Comment l’accueillons-nous ? Sommes-nous Marthe ou Marie ? Un peu des deux, selon les moments… La périphérie nous replace au centre, au cœur du message de l’Évangile et du sens-même de notre vie.
Ce qui est vrai de la géographie des lieux bibliques l’est aussi des lieux de l’Écriture : on a toujours intérêt, pour bien entendre un texte, à aller voir ce qu’il y a autour, avant et après ! Là se trouve un éclairage discret et tellement lumineux car « tout est lié » ! Ainsi la scène de Béthanie chez Jean se situe au cœur de son évangile (12, 1-8) - la périphérie devient le centre - juste avant le lavement des pieds (13, 1-20) : Jésus refait à ses disciples le geste de Marie… Et dans la Bible, ceux à qui on lave les pieds sont faits rois (Gen 18 ; I Samuel 25)… C’est un renversement de situation qui change le regard et le cœur : manifestation de la délicatesse d’un Dieu-Roi qui se fait petit pour nous rendre grands ! A Béthanie, Jésus, « que nous dis-Tu ? - Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres. Vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns les autres »…
Jésus aime les périphéries et il choisit d’y demeurer parce qu’elles sont ces lieux de vie intense, de cheminement intérieur profond où se jouent la dynamique du salut et de la grâce. La pauvre veuve qui dépose son obole au Temple est ignorée, seulement connue de Jésus : « elle a mis tout ce qu’elle possédait, tout ce qu’elle avait pour vivre » (Marc 12, 44). Comme Marie, juste après dans le récit évangélique, versant le nard pur de grand prix : « elle a fait tout ce qui était en son pouvoir » (Marc 14, 3). Jésus voit dans le cœur de ces deux femmes le parfait amour, et il nous recentre à partir d’elles. La périphérie - lieu vécu - révèle le centre et y reconduit !
Cette visitation de l’Écriture, profonde et dense, racontée avec plein d’humour, nous l’avons priée aussi lors de nos veillées, invité-es au silence et à l’écoute : « Écoute… A celui qui a soif, il vient se révéler » !
Vendredi soir, « nous étions à Béthanie », en communion de pensée et de prière avec des prisonniers qui nous avaient confié leurs intentions… Avec le Bienheureux Père Lataste, qui appelait en prison ses « chères sœurs » les femmes « dégradées, avilies, mises au ban de la société » auxquelles il parlait de Jésus… Oui, Jésus, à Béthanie, « Voici Lazare. Sur lui, tu cries d’une voix forte : "Lazare, viens dehors !" A ses ami-es, tu dis : "Déliez-le et laissez-le aller". »
Samedi, solennité de l’Immaculée Conception fêtée dans l’Eglise catholique, nous nous unissions à la béatification des martyrs d’Algérie célébrée à Oran. Et le Bienheureux Pierre Claverie nous redisait que « La valeur essentielle de notre vie, c’est le dépassement de nos barrières, la sortie de nous-mêmes par amour … Voilà le fondement de notre vie croyante ou incroyante, chrétienne, musulmane ou bouddhiste. … Avec le Christ, nous voulons nous tenir sur les lignes de fracture de l’humanité … missionnaires de cet amour du Christ qui n’impose rien … qui libère ce qui était enchaîné, réconcilie ce qui était déchiré » … "Déliez-le et laissez-le aller".
Le soir, Diane et Sylvain célébraient leur Accueil en Communion Béthanie ; Laetitia, Michel et Raphaël entraient dans le Temps de Nazareth… Jésus, à Béthanie, « dans cette famille, Tu nous accueilles comme tes ami-es … En Communion Béthanie, nous désirons demeurer en ton Amour »…
Dimanche midi, nous étions heureux de célébrer le 2ème dimanche de l’Avent avec la communauté paroissiale de la Clarté-Dieu agrandie par de nombreux catéchumènes - toujours la périphérie ! Et Jean-Michel, invité à présenter la Communion Béthanie, rappelait ces mots du pape Jean XXIII : « L’Eglise est une grande bergerie où il y a du foin à hauteur de tous les museaux » ! Belle image, toute franciscaine, qui nous réjouit et nous prépare si bien à Noël…
L’Avent, comme notre vie, est une marche… Merci, Jésus ! Merci, Père Philippe ! Merci à chacune et chacun d’être toi ! Puissions-nous avancer, éveillés, toujours déplacés, vivants et aimants.
« Jésus, le Christ, nous voici invités à la maison de Béthanie et nous adorons ta présence … En ta maison des cieux, Tu nous prépares une Demeure éternelle. Vers elle, ensemble, nous marchons »…
Fraternellement, Sylvain