J’ai participé à un Katimavic, soit « rencontre » en Esquimau. Ce sont des week-ends types, en lien avec les communautés de l’Arche et Jean Vanier, permettant la rencontre entre des jeunes ; une partie d’entre eux étant atteints de handicap mental. Dès la minute de mon arrivée au Katimavic, je me suis senti projeté dans un autre monde. Celui de l’Evangile. Celui des petits, des pauvres, de l’enfance du cœur. Là où les masquent tombent, comme ça, spontanément ; les conventions sociales volent en éclat : tous, handicapés ou non, devenons de simples frères et sœurs, des pauvres. J’ai d’ailleurs eu la chance de me voir proposé d’être en binôme ; j’ai accepté : ainsi ai-je passé tout le week-end à accompagner un jeune non-voyant. C’était une belle expérience d’échange et de découverte inédite de l’autre. Par ailleurs, cela m’a permis de ne pas être isolé au milieu de tous ces inconnus mais d’avoir un rôle et d’être plongé au cœur de la retraite et du groupe, de me sentir utile et intégré.
Lorsque Jean Vanier est arrivé, j’ai pensé à la scène des Rameaux, l’entrée messianique de Jésus à Jérusalem. Mais attention, ne vous y trompez pas : n’y voyez que simplicité et cris spontanés émanant du cœur des pauvres : « Jean Vanier ! Jean Vanier ! » Aucune gloriole du côté de l’intéressé, aucune idolâtrie du côté de « son » peuple de petits et de faibles – que de l’amour et du respect mutuel. Cet homme est de toute façon trop simple pour pouvoir être idolâtré.
Lors de sa première allocution, il a quasiment commencé par ces paroles : « Si tu veux connaître l’être humain et les sociétés humaines, écoute les gens qui ont été rejetés. » En tant que gay dans l’Eglise catholique, ces paroles ont bien sûr résonné en moi. Puis je découvrais émerveillé, au fil du week-end, à quel point son discours est en résonance directe avec le propos de la Communion Béthanie. Enraciné dans cette notion d’accueil inconditionnel les uns par les autres, au cœur de nos pauvretés, de nos vulnérabilités. Un chant a scandé tout le Katimavic, qui disait, à partir de 1Co1, 27-28 :
« Ce qu’il y a de fous dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi
ce qu’il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi. »
Pour le fondateur des communautés de l’Arche, la racine de nos douleurs, et des carapaces que nous nous sommes construites pour nous en protéger, se situe dans la peur de l’humiliation, du rejet. L’antidote en est l’amour évangélique, qui aime la personne en profondeur, au-delà de ses désirs, des ses compulsions, maladies, handicaps…Et force est de constater que l’expérience du Katimavic m’a spontanément plongé au cœur de ces propos – j’ai pu en faire l’expérience, par la grâce des frères et sœurs et par la grâce du Seigneur agissant en nos cœurs. J’ai été profondément touché lorsque, parlant de la Samaritaine, Jean a dit : « Je ne vois pas la Samaritaine comme une femme de mauvaise vie, mais comme une souffrante… Elle a eu cinq histoires d’amour brisées…vous savez ce que ça fait, combien c’est douloureux ? » Les larmes me sont montées car le Seigneur s’est servi de ces mots pour me montrer combien il me comprenait et m’aimait, non de manière « universelle » (concept à la mode !), mais de manière toute personnelle, infiniment délicate et prévenante. Oui, nous sommes aimés pour nous-mêmes, chacun, chacune d’entre nous, là est la Bonne Nouvelle ! D’ailleurs j’ai eu la grâce de réaliser, durant ce Katimavic, que regarder comme Jésus nous regarde, c’est cela : c’est voir le cœur, la beauté intérieure, au-delà des apparences – et nous le disons dans notre prière, à la Communion Béthanie : « Tout être est beau, puisqu’il vient du désir de Dieu ». Je dis cela non de manière anodine, mais avec toute l’importance qu’un disciple de Jésus peut accorder à l’éducation de son regard, qui trop souvent est mécaniquement attiré par ce qui peut être source de plaisir en l’autre, faisant de cet autre un simple objet de convoitise… bien loin de la chasteté du cœur.
Jean Vanier m’a fait la grâce de m’accueillir quelques minutes en privé : j’ai pu lui demander s’il acceptait de prier pour la Communion Béthanie. Il y a fait un accueil simple et charitable. Et a terminé en disant que sûrement le Seigneur nous donnait de vivre notre différence sexuelle pour apprendre, dans l’humilité et la pauvreté, combien nous sommes aimés de Lui… Juste après avoir confié la Communion Béthanie à sa prière, il débutait une soirée consacrée au lavement des pieds : or c’est le symbole central de la Communion Béthanie. Comment ne pas y voir un signe de l’accueil bienveillant du Ciel envers nous ?
J’offre au Seigneur la douleur que j’ai cependant vécu à devoir me taire… et oui, malgré toute l’authenticité à laquelle chacun était appelé, il m’a semblé évident que parler de moi et de toute ma dimension affective ne serait pas passé facilement… J’ai pu cependant me confier à une femme qui m’a fait un excellent accueil, ainsi le Seigneur m’a montré que déjà il nous réconfortait, au milieu de « ces persécutions pour sa justice ».
Votre frère Geoffrey
de la Communion Béthanie.