Pour ce Carême et Pâques 2018, ce sont des sœurs et des frères des Églises issues de la Réforme qui nous accompagnent.
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Marie et Marthe
(Jean 12,1-11 et Jean 11,20-27)
Marie de Béthanie est une disciple de Jésus, qui par son geste osé témoigne au Maître son amour et sa reconnaissance. Elle tient ici le premier rôle, alors qu’au chapitre précédent ce rôle était réservé à Marthe. Comme chez Marc et Matthieu, Jésus se fait l’interprète du geste de Marie en le liant à sa mort imminente.
Le fait d’oindre ses pieds, et non sa tête comme le voulait la coutume, est surprenant. La quantité de parfum utilisée paraît excessive, comme dans les autres récits. Enfin, il est inconvenant pour une femme de dénouer ses cheveux en public pour essuyer les pieds d’un hôte. Cela dit, comme le relève Jean Zumstein dans son commentaire sur le quatrième évangile, « Marie oint les pieds de Jésus (v. 3) avant que Jésus ne lave ceux de ses disciples (13,2-11) ».
Judas Iscariote tient ici le rôle de l’opposant. Il se voit doublement discrédité. Tout d’abord, son nom est clairement indiqué, ce n’est plus un groupe anonyme, et Judas est décrit comme « l’un de ses disciples, celui-là même qui allait le livrer ». Tout semble avoir été dit. Et pourtant, le récit insiste : c’est un voleur, qui ne mérite aucune confiance.
Une opposition très forte se dessine : si Marie incarne ici l’amour de Jésus, Judas, pour sa part, incarne l’amour de l’argent.
Deux autres personnages jouent un rôle important dans ce récit : Lazare et Jésus. Le début du récit précise que Jésus avait relevé Lazare d’entre les morts. Son retour à la vie est donc bien réel, et sans doute est-ce pour célébrer cet événement que les convives sont rassemblés.
À ce sujet, n’oublions pas que le retour à la vie de Lazare n’a aucune commune mesure avec la Résurrection du Christ. Lazare devra mourir un jour, alors que Jésus entrera dans la vie de Dieu. Néanmoins, le fait d’avoir rappelé son ami d’entre les morts va conduire Jésus vers la sienne, car les grands prêtres et les pharisiens l’ont décidé ainsi (Jean 11,46-53). Et dans notre passage, ils programment également la mort de Lazare, « puisque c’était à cause de lui qu’un grand nombre de Juifs les quittaient et croyaient en Jésus » (Jean 12,11).
Un détail établit symboliquement le contraste entre Lazare et Jésus : le cadavre du premier dégageait une odeur putride, tandis que « Jésus, oint par Marie, diffuse une bonne odeur, une odeur de vie » (Jean Zumstein). Et l’auteur de cette belle formule donne une précision utile : « Ce rite d’ensevelissement anticipé ne vise pourtant pas à masquer l’odeur envahissante de la mort, mais à signaler que cette mort, désormais inéluctable, a une bonne odeur de vie ».
Le récit de Jean insiste sur l’inattendu. Le geste de Marie est inimaginable, inconvenant, hors de propos. Et pourtant c’est ce geste qui permet à Jésus d’attirer l’attention sur l’enjeu véritable : sa mort imminente. Ce qui paraissait hors de propos se révèle en fait au centre de la réalité vécue. L’excès, l’extravagance attire une réprobation immédiate, mais finalement injustifiée. Jésus accepte l’inimaginable et lui donne sens. La semaine qu’il doit vivre est aussi marquée par un excès – celui du mal qui veut sa mort. Judas n’apprécie pas la bonne odeur, l’odeur de vie. Les grands prêtres non plus.
L’inattendu de Dieu avait déjà surpris Marthe, la sœur de Marie, au chapitre précédent. Un Jésus qui tarde, un Jésus absent. Lazare a le temps de mourir. Quand Marthe rencontre Jésus, elle est tournée vers le passé : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort. » Alors Jésus évoque le retour à la vie de Lazare. Du coup, Marthe se tourne avec dépit vers ce lointain avenir (celui de la résurrection, au dernier jour). Avec dépit, car c’est une réalité lointaine. Et sa peine est immense, elle a envahi tout son présent. Jésus va donc recentrer son attention sur le présent : « C’est moi qui suis la résurrection et la vie. » Alors c’est la foi de Marthe qui ressuscite, qui reprend vie. Même si une résurrection qui se décline dans le présent dépasse l’imagination.
« Quand le Christ s’établit au cœur même d’une situation, il amène avec lui la Puissance de la Résurrection. Dans son essence même, la résurrection est inattendue, imprévisible, surprenante. Nous ne sommes pas maîtres de la forme qu’elle prendra, ni du temps où elle se manifestera. Il arrive que nous ne la reconnaissions pas parce que nous attendions autre chose, et nous continuons à attendre, alors qu’elle est déjà là. Il s’agit ici de la résurrection dans notre quotidien » (Simone Pacot).
Marthe est saisie par une parole incroyable, tout comme sa sœur Marie accomplira un geste inimaginable. C’est ainsi que se présente l’inattendu de Dieu.
Yvan Bourquin
Prédicateur laïc dans l’Église protestante du canton de Vaud (Suisse)