Mercredi des Cendres
Matthieu 6 : 1-6 , 16-18
N’allons pas faire du carême un temps fort ; il est le temps du quotidien.
Le temps fort, c’est Pâques : passage de la nuit du tombeau à la clarté de la vie. Passage de la Mer Rouge : une nuit pour échapper à la pression de l‘ennemi et s’engager sur la voie de la terre promise. Passage des eaux, baptême, moment furtif où il est dit du Christ et de chacun des baptisés depuis : « Tu es mon fils bien-aimé ; en toi j’ai mis tout mon amour. » C’est important les moments forts, dans nos vies, qui nous retournent comme des crêpes, qui nous convoquent à la vie, comme ça, en un clin d’œil, et tout est transformé... J’espère qu’on a chacun, dans sa vie, le souvenir d’un moment pareil...
Mais bon, ce n’est pas le tout de la vie chrétienne, ces moments forts. La traversée de la mer se fait en une courte nuit, et puis il y a quarante ans de désert ; le temps pour Jésus d’être plongé dans le Jourdain et d’en ressortir, c’est rapide, et puis aussitôt il y a quarante jours de désert. Notre vie chrétienne, c’est aussi cela : un moment fort, un jour, une nuit, et ça irrigue toute une vie...souvent banale et quotidienne de quarante jours ou quarante ans ou plus... Le temps du carême, il est de cette couleur-là, la couleur du quotidien et du banal.
De ce temps-là, Jésus nous dit qu’il est pour l’aumône, la prière, le jeûne. L’aumône, la prière, le jeûne, cela ne relève pas d’un temps fort, mais du quotidien banal de nos vies de tous les jours. Le propre du Carême, ce serait juste de nous le rappeler, comme une piqûre de rappel. Et comme cela relève du quotidien sans fard ni esbroufe, point besoin de mise en scène, de spectacle, de publicité ; rien que le quotidien des petites attitudes simples de la vie de tous les jours.
Il n’y a d’ailleurs pas grand-chose non plus de nouveau dans ce que dit Jésus à ses disciples : un simple rappel de l’unique commandement, celui de l’amour de Dieu, du prochain et de soi. Pas un programme d’exception ; le même et unique programme pour tous les jours ordinaires de la vie. L’aumône, cela concerne ma relation à l‘autre, à mon prochain ; la prière, il en va de ma relation à Dieu ; le jeûne, c’est ma relation avec moi-même... Et tout cela est une affaire de tous les jours. Chaque jour pour vivre comme des justes, c’est-à-dire pour s’ajuster. Et s’ajuster à Dieu d’abord. Mais cela ne va pas sans s’ajuster aux autres et à soi. C’est tout un, dit l’évangile. Et c’est à redécouvrir chaque jour.
On place souvent le carême sous le signe du renoncement. Mais cela ne marche que si on fait du carême un temps fort ; parce qu’on ne peut pas faire de toute sa vie un renoncement. Symbole du quotidien des jours, le carême est bien plutôt à placer sous le signe de l’abondance de vie à laquelle on aspire. Dieu ne veut pas que nous soyons mesquins dans notre soif de vie. Dieu ne veut pas que nous perdions notre temps à courir après de petites récompenses qui ne valent pas tripette. Non, Dieu veut donner beaucoup, comme d’habitude, c’est pour cela qu’il exhorte à renoncer aux petites récompenses mesquines et vaines de la gloriole et de la frime.
Voilà donc le temps du carême : pas un temps factice d’exercices pieux à faire d’un air contrit ; mais le temps de Dieu, de la vie véritable, de sa présence en nous ; le temps de l’amour ;le temps de la conversion de nos rapports à Dieu, aux autres, à soi. Le temps de tous les jours de notre vie...et on a quarante jours pour s’en souvenir et s’en convaincre à nouveau !
Jean-Luc-Marie FOERSTER,
prieur du Couvent des Dominicains de Lille.